La tension monta de plusieurs crans. Que faire contre la magie noire ? Cette fois, le cas était d’autant plus grave que la victime était un jeune vénitien honorablement connu du quartier. Passe encore qu’on assassine des étrangers mais si les autorités ne se décidaient pas à prendre des mesures radicales au moment où des fauves assoiffés de sang s’en prenaient à la population des arsenalotti, qu’allait-elle devenir ?
Il fut décidé de placer des gardes en faction auprès des lions, ne serait-ce que pour éviter les dégradations. La tête d’un des lions fut brisée et on dut la remplacer illico à grands frais et pour rassurer la population. Comme une nouvelle nuit de brouillard s’annonçait, la garde fut renforcée et le jeune responsable de l’opération se rendit en personne sur les lieux afin de se rendre compte par lui-même de quoi il en retournait.
La nuit fut calme, d’autant que personne n’osait plus se montrer ou sortir dans ces conditions. Mais, au petit matin, le cri d’une femme déchira l’épaisseur du brouillard. Immédiatement, l’alerte fut donnée. On retrouva la jeune femme, sortie pour aller tôt au marché du Rialto, lacérée par des traces de griffes mais vivante. On tira des coups de fusil vers l’ombre d’une bête géante — un lion, un ours ? — qui réussit à disparaître dans la nuit.
Les lions de pierre étaient plus ou moins hors de cause. Mais d’où sortait ce fauve géant, cette nouvelle bête du Gévaudan ? On perquisitionna le quartier toute la journée. On ne trouva aucune bête féroce.
Sous les griffes du Lion
On arrêta tout de même un voisin plutôt bourru parce qu’on trouva chez lui des effets ayant appartenu au jeune vénitien. Mais on ne trouva rien d’autre, même si on l’interrogea en le torturant un peu. Sans résultat autre qu’il mit fin à ses jours en se pendant dans sa cellule la nuit suivante.
Le mobile était-il crapuleux, était-ce un règlement de comptes, une querelle de voisinage qui avait mal tourné ? Mais comment s’y prenait-il pour déchiqueter ses victimes ? Avait-il apprivoisé quelque loup ou gros chat sauvage pour tuer ?
Sa disparition n’aida pas à résoudre l’énigme ; toujours est-il qu’aucune autre agression ne fut à déplorer.
Un demi-siècle plus tard, on trouva dans le grenier d’une maison voisine, dissimulé dans une malle à double-fond, la peau d’un lion particulièrement imposant dans lequel un humain pouvait se cacher. Ses griffes avaient été soigneusement effilées. Qui s’était servi de cette pelisse comme déguisement pour tuer ?
L’énigme en resta définitivement une : on ne sut jamais si un innocent de plus n’avait pas résisté aux traitements policiers un peu trop poussés, ni à qui appartenait réellement la pelisse, peut-être rangée là à la suite de la dernière agression — une femme, pour une fois ! — qui avait failli aboutir à l’arrestation de ce lion fort peu généreux et qui resterait à jamais aussi superbe qu’indomptable.
« Sous les griffes du Lion (2e partie) », treizième épisode des Nouvelles Vénitiennes de Maître Renard.
— Lire la 1ère partie : Sous les griffes du Lion (1re partie).
— Lire la nouvelle précédente : Calle larga dei Proverbi (Rue longue des Proverbes).
— Lire la suite : Il n’y a pas que la vérité à sortir du puits.
1 réflexion sur « Les Nouvelles Vénitiennes (13) : Sous les griffes du Lion (2e partie) »
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.