Courir nu de San Marco au Rialto entre deux files de populace, croyez-moi, ça n’a rien d’excitant ni de rigolo. Encore moins quand cette sale populace vous lance non seulement des lazzi, des quolibets et toutes sortes de noms d’oiseaux mais aussi des fruits pourris et vous fouette les jambes et le dos !
Ah non, vivement que ça finisse, c’est moi qui vous le dis ! Vivement qu’on embrasse le Bossu, cette stèle de pierre au milieu des étals du marché du Rialto et qu’on en parle plus… C’est du haut de cette petite colonne de porphyre et sa sculpture d’homme au dos courbé que le héraut a lu ma condamnation pour vol et que j’ai été condamné, avec les citoyens bannis de la ville, à courir à poil dans les rues de la cité.
Ça les fait rire, ces chacals, ces rapaces, de nous voir cavaler en troupeau comme des dératés, comme des pourceaux vers l’abattoir. Ils se foutent carrément de notre fiole et de nos membres ! Je t’en collerai des commentaires et mon pied au derrière s’ils m’en laissaient le loisir !
Le Bossu du Rialto
Mais voilà, il me faut juste courir, courir comme si j’avais le diable aux trousses, courir sans même partir à point. Qu’il est long ce chemin avec ces grands benêts qui rigolent tout leur saoul… Moquez-vous donc, pauvres niais, un jour ce sera votre tour et je m’en rigolerai bien davantage encore !
Tout ça pour une peccadille, pour un « emprunt », un vol de rien du tout. Et je me suis laissé bêtement surprendre, ah vraiment, il est des jours où c’est pas de chance… Alors que sa volonté soit faite, ça ne m’empêchera pas de recommencer.
Ça m’apprendra à ne pas assez me méfier. Jusque-là, j’ai toujours eu la madone avec moi. Tout cela n’est pas bien méchant. Il parait qu’il y a des contrées où, pour un rien, on vous coupe la main, quand ce n’est pas le kiki ! Quels barbares !
Allez, encore quelques foulées. Nous voilà bientôt arrivés. On étreint le Bossu et on se fait oublier quelques temps. Il va falloir jouer serré et être plus prudent. Je jure, un peu tard, qu’on ne m’y reprendra plus !
Illustration : Le Bossu du Rialto à Venise, Maître Renard (17 février 2006).
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