Autrefois associés, au figuré, pour construire leurs logements, les castors n’ont plus aujourd’hui cette cohésion qui leur permettait de vivre en colonies et de bâtir des digues, des abris de terre battue.
Au fil des ans et malgré les réticences, ces derniers avaient tour à tour accepté en leur sein des brebis égarées, quelques agneaux devenus loups, une ou deux hyènes peut-être, mais leur communauté évitait soigneusement tout métissage trop prononcé. Chacun posait sa pierre pour ériger le mur qui les protégerait de la jungle… La violence des affrontements induits par la mondialisation d’une économie non régulée par des critères d’intégrité et de tolérance se vérifiait également dans ce microcosme, où les doyens des castors n’avaient plus en fait qu’une confiance modérée dans la justice proposée. Le manque de mixité sociale avait aigri les rancœurs, la peur avait fait taire les plus faibles, les plus jeunes et rebelles cherchant toujours une perspective d’avenir dans ce système libéral où la raison du plus fort est toujours la meilleure.
Le mois dernier hélas, l’écho de la savane vous contait l’exaspération qui avait poussé l’un des leurs à prendre à parti un groupe de lionceaux devant son logis. Cette pratique inhabituelle et contre-nature chez les végétariens avait suscité quelques interrogations dans la brousse alentour. Les rongeurs avaient beau compter quelques âmes essayant d’insuffler dans leur quotidien le détachement tant recherché, l’idéal d’un monde lissé s’éloignait… S’étant dans un premier temps montré menaçant, le castor avait ensuite trouvé auprès d’un carnivore redouté, en l’occurrence un lion plus âgé, une médiation efficace. Contre toute attente, une discussion franche et dénuée d’agressivité avait permis à chacun de mesurer la valeur des arguments respectifs ayant conduit à cette situation tendue : d’un coté des carnivores qui, faute de lieux d’accueil, d’écoute ou de détente, dans ces quartiers de la jungle urbaine devenus au mieux des cités-dortoirs, au pire des ghettos communautaires, cherchaient en vain quelque distraction dans la rue, désormais seul espace de rencontre, de loisirs et de chasse ; de l’autre des végétariens, soucieux de leurs droits et devoirs au même titre que les carnivores, mais depuis un certain temps déjà sur la défensive, car trop occupés à les faire valoir plutôt que de les voir respectés chez eux, par l’État, au travail ou dans la rue…
Une fable urbaine sur les castors
La publicité ne s’y trompe pas, qui actuellement nous conseille de « manger du lion » pour « dominer la jungle ». Mais le castor n’est pas carnivore, et veut croire que son régime est le bon. Ne cachant pas ses faiblesses mais essayant de valoriser ses atouts, il s’éloigne pour un temps des « rois de la jungle » qui s’entredéchirent encore sur son passage. Depuis La Fontaine, rien n’aurait donc changé ? Le castor l’a mauvaise…Se souvenant d’une phrase entendue (« Force doit rester à la loi ! »), il ne peut que constater à regret le passage de l’égalité des droits à l’égalité des chances (1). Et pour saisir sa chance, montre parfois ses dents… Un jour il se fera croquer ! En attendant se saoule de mots pour oublier ses maux… Passe à l’action pour motiver sa réflexion. Le castor a la gueule de bois : la justice du plus riche est toujours répandue, la cause pour autant défendue n’est pas perdue…
(1) Voir l’article de Guy Konopnicki, « Loto satisfaction d’Azouz Begag », in Marianne N° 475 du 27 mai au 2 juin 2006, page 11.
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