À la Pentecôte, l’Esprit Saint descend sous forme de langues de feu sur les apôtres…
La Pentecôte, c’est aussi le grand rendez-vous des traditionalistes et du chassé-croisé des pèlerinages au nom du respect des traditions. Les intégristes de la Fraternité sacerdotale de Saint Pie X, inspirés par Marcel Lefebvre, font le sens Chartres-Montmartre tandis que dix à douze mille pèlerins de Notre-Dame de la Chrétienté font le chemin inverse entre Paris et Chartres pedibus.
Tout ce beau monde a en commun le rejet de la réforme de Vatican II et de l’ouverture de l’Église, veut revenir à des fondamentaux comme les offices en latin. Mais, dans la course aux traditions et d’un prétendu purisme, ces pèlerins se haïssent cordialement. Au point de s’éviter ou, à tout le moins, à jouer au chat et à la souris pour ne pas se retrouver nez à nez.
Pourtant la Providence, la Fatalité ou le Destin malin, comme on voudra, fit qu’une année les deux pèlerinages se retrouvèrent ensemble là où ils ne devaient pas, du côté de Maintenon. Cela faillit tourner à l’émeute et à l’affrontement en règle. Une bête erreur de planning ou d’aiguillage rassembla les deux camps.
Chassés croisés
D’un côté, les intégristes faisaient une première pause dans leur périple vers la capitale. De l’autre, le gros du bataillon descendait de leurs cars en provenance essentiellement de la région parisienne et de la Vendée pour faire la dernière partie du chemin effective à pied. Le rapport de forces était fort inégal : un intégriste contre vingt traditionalistes.
On aurait dit une bataille rangée à l’ancienne. Les intégristes cherchaient avant tout à ne pas se laisser encercler. Ils se rangèrent derrière une forêts d’étendards. Quant aux traditionalistes, ils avaient leurs propres bannières, vendéennes et chouannes en majorité.
On s’intimidait à force d’invectives, au nom de l’Amour et de la Justice fraternelle. On s’insultait à qui mieux mieux, en latin, et qui n’était d’aucun des deux camps aurait eu sans doute profit d’un Gaffiot. “Raclures de bidet”, “démons au rabais”, “renégats apostoliques” étaient autant de jurons en traduction que n’aurait pas renié le capitaine Haddock.
La tension était perceptible et s’épaississait à chaque minute. On aurait pu la découper au couteau, à la machette et même à la tronçonneuse. L’affrontement était inévitable. Après les insultes, ce serait le carnage, les coups de crosses répondant aux coups de bâtons de pèlerin faisant office opportune de massue. On pouvait déjà compter les morts et les blessés pour cet énième épisode de la guerre fratricide des religions.
La haine était proprement irrationnelle, décuplée pour les raisons d’une foi intraitable et intolérante. Il n’y aurait ni pardon ni pitié. On se toisa. On se huma. On se défia du regard, puis avec les mots, puis avec les injures. On brandit les croix, les étendards, les bâtons de pèlerins. Sparte contre Athènes. Les Grecs contre les Troyens pour un combat homérique, Rome contre les Barbares, Rolland à Roncevaux, Charles Martel à Poitiers.
Leur sainte haine commune ré-équilibrait les forces en présence. C’était la même haine au nom de laquelle on avait exterminé les Indiens d’Amérique, converti à coups de croix et de crosses toutes les colonies, les sauvages de tous les bouts du monde. Par Amour du Christ, de la Vierge, du vrai Dieu, on avait tué, massacré, avili avec la même fureur. L’Histoire allait-elle de nouveau recommencer ? Et bien, non ! Miracle ? Alléluia.
Le Saint Esprit, qui n’est pas un mauvais bougre, se manifesta sous la forme stridente d’un téléphone portable. Il émanait des services préfectoraux, des renseignements généraux. La Providence avait averti — on ne sait comment — les autorités d’un incident imminent. Pompiers et policiers avaient été dépêchés fissa et illico presto pour jouer les casques bleus et séparer les belligérants éventuels.
Les responsables de deux pèlerinages donnèrent simultanément un ordre de repli ou du moins de contournement du groupe adverse. On s’ignora donc superbement. On feignit l’indifférence ou le mépris. Chacun reprit sa marche sans incident. Si le Bon Dieu n’y est pas pour quelque chose dans tout ça !
Illustration : Croisés, Larousse, 1922, Wikipédia.