Nouvelles mystérieuses de la cathédrale de Chartres (11) : Chassés croisés

Les Nouvelles Mystérieuses de la Cathédrale de Chartres

À la Pen­tecôte, l’Esprit Saint descend sous forme de langues de feu sur les apôtres…

Croisés
Croisés

La Pen­tecôte, c’est aus­si le grand ren­dez-vous des tra­di­tion­al­istes et du chas­sé-croisé des pèleri­nages au nom du respect des tra­di­tions. Les inté­gristes de la Fra­ter­nité sac­er­do­tale de Saint Pie X, inspirés par Mar­cel Lefeb­vre, font le sens Chartres-Mont­martre tan­dis que dix à douze mille pèlerins de Notre-Dame de la Chré­tien­té font le chemin inverse entre Paris et Chartres pedibus.

Tout ce beau monde a en com­mun le rejet de la réforme de Vat­i­can II et de l’ouverture de l’Église, veut revenir à des fon­da­men­taux comme les offices en latin. Mais, dans la course aux tra­di­tions et d’un pré­ten­du purisme, ces pèlerins se haïssent cor­diale­ment. Au point de s’éviter ou, à tout le moins, à jouer au chat et à la souris pour ne pas se retrou­ver nez à nez.

Pour­tant la Prov­i­dence, la Fatal­ité ou le Des­tin malin, comme on voudra, fit qu’une année les deux pèleri­nages se retrou­vèrent ensem­ble là où ils ne devaient pas, du côté de Main­tenon. Cela fail­lit tourn­er à l’émeute et à l’affrontement en règle. Une bête erreur de plan­ning ou d’aiguillage rassem­bla les deux camps.

Chassés croisés

D’un côté, les inté­gristes fai­saient une pre­mière pause dans leur périple vers la cap­i­tale. De l’autre, le gros du batail­lon descendait de leurs cars en prove­nance essen­tielle­ment de la région parisi­enne et de la Vendée pour faire la dernière par­tie du chemin effec­tive à pied. Le rap­port de forces était fort iné­gal : un inté­griste con­tre vingt traditionalistes.

On aurait dit une bataille rangée à l’ancienne. Les inté­gristes cher­chaient avant tout à ne pas se laiss­er encer­cler. Ils se rangèrent der­rière une forêts d’étendards. Quant aux tra­di­tion­al­istes, ils avaient leurs pro­pres ban­nières, vendéennes et chouannes en majorité.

On s’intimidait à force d’invectives, au nom de l’Amour et de la Jus­tice frater­nelle. On s’insultait à qui mieux mieux, en latin, et qui n’était d’aucun des deux camps aurait eu sans doute prof­it d’un Gaffiot. “Raclures de bidet”, “démons au rabais”, “rené­gats apos­toliques” étaient autant de jurons en tra­duc­tion que n’aurait pas renié le cap­i­taine Haddock.

La ten­sion était per­cep­ti­ble et s’épaississait à chaque minute. On aurait pu la découper au couteau, à la machette et même à la tronçon­neuse. L’affrontement était inévitable. Après les insultes, ce serait le car­nage, les coups de cross­es répon­dant aux coups de bâtons de pèlerin faisant office oppor­tune de mas­sue. On pou­vait déjà compter les morts et les blessés pour cet énième épisode de la guerre frat­ri­cide des religions.

La haine était pro­pre­ment irra­tionnelle, décu­plée pour les raisons d’une foi intraitable et intolérante. Il n’y aurait ni par­don ni pitié. On se toisa. On se huma. On se défia du regard, puis avec les mots, puis avec les injures. On bran­dit les croix, les éten­dards, les bâtons de pèlerins. Sparte con­tre Athènes. Les Grecs con­tre les Troyens pour un com­bat homérique, Rome con­tre les Bar­bares, Rol­land à Ron­ce­vaux, Charles Mar­tel à Poitiers.

Leur sainte haine com­mune ré-équili­brait les forces en présence. C’était la même haine au nom de laque­lle on avait exter­miné les Indi­ens d’Amérique, con­ver­ti à coups de croix et de cross­es toutes les colonies, les sauvages de tous les bouts du monde. Par Amour du Christ, de la Vierge, du vrai Dieu, on avait tué, mas­sacré, avili avec la même fureur. L’Histoire allait-elle de nou­veau recom­mencer ? Et bien, non ! Mir­a­cle ? Alléluia.

Le Saint Esprit, qui n’est pas un mau­vais bougre, se man­i­fes­ta sous la forme stri­dente d’un télé­phone portable. Il émanait des ser­vices pré­fec­toraux, des ren­seigne­ments généraux. La Prov­i­dence avait aver­ti — on ne sait com­ment — les autorités d’un inci­dent immi­nent. Pom­piers et policiers avaient été dépêchés fis­sa et illi­co presto pour jouer les casques bleus et sépar­er les bel­ligérants éventuels.

Les respon­s­ables de deux pèleri­nages don­nèrent simul­tané­ment un ordre de repli ou du moins de con­tourne­ment du groupe adverse. On s’ignora donc superbe­ment. On feignit l’indifférence ou le mépris. Cha­cun reprit sa marche sans inci­dent. Si le Bon Dieu n’y est pas pour quelque chose dans tout ça !

Illus­tra­tion : Croisés, Larousse, 1922, Wikipé­dia.


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