L’écrivain Charles Péguy est étroitement associé à Notre-Dame de Chartres. Une plaque sur un pilier rappelle ses deux pèlerinages à Chartres dont il est spirituellement le parrain en ce qui concerne les étudiants.
Il a magnifiquement chanté « la flèche unique au monde » qui surgit sur la plaine de Beauce. Sa présentation de la Beauce à Notre-Dame commence ainsi :
Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape.
Pas mal, non ? Le problème, c’est que ça continue sur 75 quatrains, soit 300 vers ! Autant dire qu’à l’heure des haïkus et des formes brèves, Péguy navigue à contre-courant et fait figure de dinosaure. Incontestablement, son style a vieilli. Beaucoup vieilli au point qu’on ne trouve plus que deux recueils de poésie encore édités.
Et ce n’est pas la présentation de l’auteur pour l’édition de La Pléiade qui risque d’attirer le chaland : « Si la philosophie cartésienne fut une dénonciation du désordre et si la philosophie bergsonnienne a commencé par une dénonciation du tout fait, la pensée de Péguy (1873 – 1914) fut peut-être avant tout une dénonciation de l’angélisme ou d’un certain kantisme, aux mains si pures qu’il n’en a plus. De mains. Il n’y a qu’une histoire (“singulière, unique, une histoire extraordinaire, invraisemblable, impossible : arrivée”), celle d’un Dieu qui paria sur l’homme au point de risquer son être dans un visage humain. Quand l’homme manque Dieu, Dieu manque l’homme. Aussi est-ce dans le temps que l’homme qui se perd se trouve, s’il ne dégrade pas le mystique en politique. »
Cela donne envie… Cela donne surtout envie de prendre ses crayons de couleur et de les utiliser sur le dernier album de Placide et Muzo.
Tu parles Charles, tu l’as dit Péguy…
Péguy mérite sans doute bien mieux que sa réputation. En fait, il est le type même d’artiste « récupéré » pour son plus grand malheur. Les milieux de la droite conservatrice et traditionaliste ont, à tort, voulu en faire leur porte-drapeau et leur porte-voix.
À tort, car si Péguy avait une tendresse toute particulière pour ces figures et femmes que sont Ève, la Vierge et Jeanne d’Arc, Péguy est d’abord un converti sur le tard. Socialiste convaincu depuis bien longtemps, il n’a retrouvé la foi, une foi de charbonnier, qu’en 1907, à trente-quatre ans donc. Et encore : il a toujours tenu secret son mysticisme jusqu’à la parution du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, en janvier 1910.
Il s’est toujours méfié du monde clérical et sa religion est purement poétique, avec une mystique de l’héroïsme et du messianisme français. Sa femme étant totalement agnostique, il ne s’est d’ailleurs jamais marié que civilement. Venu du socialisme donc, son catholicisme est du côté des humbles qu’il chante à coups de litanies lentes et majestueuses.
Ses origines étaient modestes. Son père, menuisier, est mort quelques mois après sa naissance. Sa mère, rempailleuse de chaises, l’a élevé avec les difficultés que l’on devine. Ce n’est que grâce à l’école et à une bourse pour intégrer l’École Normale, qu’il s’est montré exemplaire. Pour autant, son indépendance viscérale et un caractère des plus trempés en font autre chose qu’un petit saint aseptisé.
Et pour les culs bénis qui ont voulu l’annexer, sa mort laisse rêveur. Mobilisé le 2 août 1914, lieutenant au 276e régiment d’infanterie, il tombe un mois plus tard, le 5 septembre près de Villeroy, à vingt-deux kilomètres de Paris, tué d’une balle allemande en plein front.
Lui qui a tant évoqué la protection de la Vierge, on en viendrait à douter de l’efficacité du procédé et de la protection divine. À moins que ce ne soit un lecteur mal intentionné qui, l’ayant reconnu, a profité de la Grande Guerre pour se venger et l’empêcher de pondre de nouvelles interminables strophes si charitables…
Illustration : Timbre français illustrant Charles Péguy et la cathédrale de Chartres (1950).