Nous avons déjà parlé de la reine de Saba dans la nouvelle « Black in black ». Cette reine légendaire n’a pas qu’une autre représentation statuaire sur le portail Nord. Elle trône aussi, que dis-je, elle illumine la Portail Royal.
C’est elle en effet que l’on voit sourire sur la droite de la porte centrale. Elle fait partie d’un ensemble de quatre statues nimbées, encadrée de deux rois couronnés aux visages identiques avec leurs longues chevelures, leurs barbes et leurs moustaches ondulantes.
Ce qu’il y a d’admirable pour ces quatre corps longilignes, c’est qu’ils dégagent une impression incomparable de sérénité, un rien exotique, d’une zénitude rayonnante qui se dessine dans leurs si doux sourires.
Chacun connaît deux autres représentations de sourires merveilleux : celle de l’ange de la cathédrale de Reims, plus épanoui, et celle de Mona Lisa, indéfinissable, de la Joconde de Léonard de Vinci.
Ces sourires sont des summums de l’expression de l’âme humaine, une grâce, une quiétude, une bienveillance qui transperce ou plutôt qui le fait fondre de bonheur.
Observez-bien les dix-neuf statues colonnes qui encadrent les trois portes du portail occidental : ces quatre-là se distinguent par ce sourire un rien énigmatique. Les autres figures féminines n’atteignent pas la même plénitude, la même perfection et une ou deux d’entre elles ont même l’air un peu rabougri, pour une élémentaire question de proportions.
L’exotisme du sourire, dont certains pensent poétiquement qu’il reflète le bien-être du royaume éternel, a deux causes objectives : la couleur ocre de la pierre, chaude, qui contraste avec la blancheur nacrée de celle de Berchères d’une part et, d’autre part, la souplesse des drapés et la présence de certains accessoires comme une branche de palmier. La reine de Saba elle-même a en main — même si elles ont disparu — une fleur qui n’existe pas sous nos latitudes.
Le sourire de la reine de Saba
Comme les vêtements ne sont pas ceux portés au XIIIe siècle, on peut en déduire que les artistes ont représenté ces rois et ces reines de l’Ancien Testament avec les tenues qu’ils imaginaient qu’ils portaient à l’époque. À moins que les sculpteurs viennent eux-mêmes du Moyen-Orient ou qu’ils y avaient voyagé à l’occasion d’une croisade par exemple.
Quant à l’admirable sourire de ces quatre personnages, l’explication est on ne peut plus simple. Toutes les sculptures avaient, à l’origine, la même expression d’impassibilité, hiératique, d’apaisement divin. La reine de Saba était donc elle-même sérieuse, tout comme ses voisins immédiats.
Mais, une nuit, un voyageur étrangement accoutré, tout de noir vêtu, s’approcha du porche royal. Il s’agenouilla et se mit à prier longuement, intensément. Lorsqu’il se releva, il croisa le regard lapidaire de la reine légendaire. Celle-ci avait immédiatement senti une présence familière, celle de son double au masculin. Elle avait immédiatement deviné que cet inconnu lui était cher.
Cet être de chair n’était autre que la réincarnation du sage roi Salomon. Alors elle sourit de voir l’homme qu’elle avait toujours respecté et aimé. Ses voisins, complices, ne purent s’empêcher, à leur tour, de partager cette sympathie communicative.
Depuis lors, leur sourire éternel accueille les passants, les visiteurs, les pèlerins, les fidèles et les croyants et tous ceux pour qui le sourire est un cadeau céleste, celui des anges, des poètes et de ceux qui croient aux monts et aux merveilles.
Illustration : Le sourire de la Reine de Saba, Maître Renard (2008).