Jean Texier, dit Jehan de Beauce, ne conçut pas seulement cette pièce montée pâtissière qu’on appelle le clocher neuf. Cette flèche de pierre dentelée a remplacée les précédentes, de charpente et de plomb, dont la dernière avait été victime de la foudre et d’un incendie, le 26 juillet 1506.
La flamboyance de cette flèche dénote quelque peu avec l’autre réalisation due à Jean Texier : un petit pavillon abritant le mécanisme d’une horloge. Elle date de 1520 et se remarque, au pied du clocher neuf, par l’élégance de son style Renaissance.
Mais que vient faire là cette construction rapportée avec son riche cadran polychrome ? L’aiguille qui tourne sur ce cadran marque non pas douze mais les vingt-quatre heures et mesure plus de six mètres de circonférence.
On ne s’est guère interrogé sur ce pavillon particulier. Certes, Chartres est loin d’être la seule cathédrale à marquer le temps de manière spectaculaire. Le carillon intérieur de celle de Strasbourg en est la plus célèbre illustration. Il s’agit toujours de rappeler la fuite du temps, notre condition de mortel et, en conséquence, nos devoirs vis-à-vis de l’Éternité.
Jehan de Beauce arrête le temps
Mais cette horloge-là tient en fait à l’histoire personnelle de Jean Texier. Le clocher neuf terminé, entre 1507 et 1513, il aurait dû logiquement quitter Chartres et la Beauce pour d’autres chantiers plus lointains où sa réputation et son expérience l’appelaient. Or il se trouve qu’une raison toute sentimentale le retint à Chartres.
Cette raison sentimentale avait pour nom Isabeau de Ménardeau. Elle était à la fois astronome et horlogère. Étrangère aussi puisqu’elle venait de l’actuelle Bavière et était née en Italie, du côté de Florence. C’était une de ces femmes de la Renaissance atypique et lettrée, cultivée et scientifique, une intellectuelle indépendante, aussi belle que mystérieuse.
Pour ceux ou celles qui auraient pu imaginer une banale histoire d’adultère, ils ou elles en seront pour leurs frais. Isabeau était libre comme l’air, ce qui rajoutait, à l’époque, à sa sulfureuse réputation. Lui était veuf et joyeux, ayant épousé trop jeune une femme qui eut le bon goût d’être emportée assez vite par une maladie.
Qui eut donc pu les empêcher de vivre au grand jour un amour partagé ? Eux-mêmes. Chacun était d’une farouche indépendance et ils ne pouvaient davantage vivre l’un sans l’autre que l’un avec l’autre. Jehan de Beauce convainquit l’évêché de construire ce pavillon, uniquement destiné en fait à la femme qu’il aimait, sa maîtresse unique et préférée. Il le lui fit sur mesure son outil de travail et de recherche, son nid douillet où il la rejoignait grâce à cette minuscule porte qui se découpe dans le soubassement.
On sent que son style a évolué, qu’il est plus fin, plus élégant, plus discret à l’image de cet amour intellectualisé, de cette admiration réciproque entre deux beaux esprits, deux artistes.
Tout cela n’a rien certes de bien religieux ou de bien mystique. Au contraire, l’histoire est on ne peut plus humaine et la belle horlogère avait fait arrêter le Temps au maître architecte. Malgré toutes les recherches, on ne sait guère comment cette histoire se finit : une fois encore, les plus tendres passions ne font pas de bruit et ne s’éclipsent jamais tout à fait.
Illustration : Horloge de la cathédrale de Chartres par Jean Texier, dit Jehan de Beauce, Maître Renard (2008).
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