Si le pèlerinage de la Pentecôte est sacré, celui de Saint-Jacques de Compostelle l’est beaucoup moins. Allez savoir pourquoi, mais les autorités religieuses en font bien moins cas que le rassemblement des traditionalistes.
Cela est si vrai que Chartres n’est pas vraiment sur le chemin de Saint-Jacques, en tout cas pas sur l’une des quatre routes officielles royales. La plus proche privilégie la voie qui part de la Tour Saint-Jacques à Paris pour aller sur Tours via Orléans.
La taille de la cité et la réputation de la Pucelle ont eu stratégiquement raison du voile de la Vierge. On peut imaginer qu’une partie du désintérêt de l’épiscopat local résulte de ce choix initial. Pourtant, la dimension européenne et charismatique de la route de la Coquille ne pouvait qu’être un atout majeur pour la cité des Carnutes. De plus, au fil des ans, l’intérêt pour ce pèlerinage s’accentue et les chiffres de fréquentation parlent d’eux-mêmes.
À quoi doit-on cette relance du tourisme mystique ? Tout à la fois au fait qu’il correspond à une volonté de plus en plus affirmée de prendre le temps, de réfléchir sur soi et d’employer son temps libre à des expériences spirituelles, physiques et de découvertes plus authentiques qu’un séjour tout compris au Club Med’.
Et puis cette dimension transfrontalière, la foi transcendant les pays, est certainement une dimension supplémentaire qui cristallise et réunit concrètement la communauté chrétienne. Avec peut-être l’idée sous-jacente de montrer au monde musulman que le christianisme aussi sait rassembler et reste vivant…
Mais, en ce bas monde, je ne vous apprends rien, nul n’est parfait. Les pèlerins ne sont pas tous motivés par de saintes intentions. d’aucuns ont bien compris qu’on pouvait aussi jouer sur l’inépuisable filon de la générosité et de la naïveté.
Drôles de pèlerins
En effet, les pèlerins de Saint-Jacques, les Coquillards, ceux qui décident de faire tout ou partie de la route jusqu’en Espagne forment une sorte de communauté. Ils sont mus par d’autres valeurs que celles de l’argent et du matérialisme. Le partage, la réduction des besoins à l’essentiel font partie des nouvelles valeurs qu’ils ont l’occasion d’expérimenter et de mettre en pratique. Et, sur le chemin, il suffit d’être de ces voyageurs pour voir des portes s’ouvrir spontanément, de constater la différence avec notre vie sociale habituelle. On ne refuse ni un bout de pain ni un repas, pas plus qu’un lit ou un toit à celui qui fait le chemin. On tend la main et on fait plus volontiers sa b.a. en ouvrant son porte-monnaie.
Le coquillard — du nom de l’emblématique coquille Saint-Jacques -, lui, est humblement vêtu, trimbale un sac-à-dos d’une douzaine de kilos et se distingue par son emblème, son bâton de pèlerin et sa carte qui atteste les différentes étapes où il est passé, à coups de tampons. Le but ultime est de compléter ce carnet de route comme le carnet d’images Panini de votre enfance.
Quelques petits malins ont compris l’intérêt de la chose et sont devenus des coquillards parasites professionnels, vivant de la charité et se faisant inviter gratis pro Deo, gîte et couvert assurés. Certains ne quittent jamais leur région, fabriquant de fausses cartes de pèlerins pro, avec des tampons confectionnées à l’aide de pommes de terre, comme aux plus beaux jours de La Grande Évasion. Peu importe à ces faussaires de gagner la Galice et la terre promise sur les bords de la Cantabrique : ils entretiennent le mythe sachant que, par le passé, brigands de grands chemins, détrousseurs et autres malandrins eux aussi suivaient à la trace ces pauvres bougres de pèlerins qui, s’ils ne perdaient pas toujours grand chose ou la vie, se faisaient plumer aisément sur ces itinéraires balisés mais nullement sécurisés. À la Grâce de Dieu !
Ils étaient donc des proies faciles, des victimes toutes désignées. Quant à Saint Jean-Baptiste, le protecteur des voyageurs, il devait regarder ailleurs…
Illustration : Coquillard — Emblème des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, Skarabeusz (2006) via Wikimedia Commons.