Les reliques ont toujours représenté un enjeu majeur non seulement pour les édifices religieux mais pour les cités. On se souvient, par exemple, qu’à Tours, il a fallu littéralement voler le cadavre de l’évêque Martin pour que Tours soit une place forte religieuse, ce que lui disputait Poitiers.
Un autre exemple célèbre, c’est celui de Saint-Marc. Venise voulait à tout prix se placer sous la protection d’un protecteur céleste prestigieux. En 828, la cité des Doges a ainsi décidé de remplacer Saint-Théodore et de rivaliser avec le patron de Rome, Saint-Pierre. Elle a envoyé deux émissaires pour ramener les reliques de l’apôtre, qui avait été martyrisé près d’Alexandrie en Égypte. Problème : le territoire était en pays musulman. Qu’à cela ne tienne, les deux faux marchands vénitiens sont allés voler les reliques, les ont cachées dans un chargement de viande de cochon, animal impur s’il en est pour les musulmans, l’ont rapatrié ainsi pour que Marc et son lion deviennent les symboles de la ville.
La basilique Saint-Marc fut construite tout exprès pour protéger ce qu’il restait de l’apôtre. La Sérénissime pouvait rivaliser avec Rome avec comme justificatif que Saint-Marc était venu évangéliser la région par bateau, qu’il avait même fait naufrage et qu’un ange opportun lui était apparu en 454 pour lui prédire : « Paix sur toi, Marc, mon évangéliste, tu trouveras ici le repos. » Bonne pioche.
Chartres ne fait pas exception à la règle : Notre-Dame ne se comprend et ne se justifie d’une certaine manière que parce qu’elle est l’écrin d’une relique sacrée entre toutes, le voile de Notre-Dame, autrefois connu sous la dénomination de « Sainte Chemise », donnée en 876 par Charles le Chauve. Cette relique mariale attirait tous les pèlerins et Chartres était à l’époque ce que Lourdes est aujourd’hui en terme de pèlerinage.
Le vêtement, en fait, était une pièce de soie unie de 5m35 de long et de 0,46 cm de large, qui n’avait donc pas grand chose à voir avec ce qu’on entend aujourd’hui par chemise. Mais, comme la relique avait été cachée au regard du public jusqu’en 1712, on peut comprendre l’approximation voire l’inadaptation de la désignation. Cela n’empêcha pas que la légende rapporte qu’il a suffi à l’évêque Gantelme de déployer la sainte relique en 911, alors que les Normands assiégeaient la ville, Rollon en tête, pour que les Barbares, impressionnés par ce morceau de tissu, prennent leurs cliques et leurs claques et rebroussent miraculeusement chemin… Ils s’enfuirent carrément à sa vue : belle arme de dissuasion massive, non ?
La Vierge perd sa chemise !
Ce qu’on sait moins ou même pas du tout, c’est que la Vierge faillit perdre sa chemise à la Révolution. En général, les historiens se contentent de rapporter : « Pendant la Révolution, la sainte relique fut profanée et disparut en partie. L’antique statue de Notre-Dame de Sous-Terre fut brûlée sur le parvis en décembre 1793. » Cela reste bien vague. Voici l’explication que vous ne trouverez nulle part ailleurs.
Ce qui s’est passé en réalité, pendant la période révolutionnaire, c’est que certains cherchèrent à tirer profit de la situation. On ne refait pas l’âme humaine. Le responsable de la mutilation n’est autre qu’un obscur barbier de Gallardon, Bertrand Gouvinois, d’après les archives communales qui ont disparu depuis lors. Ce pauvre barbier était impuissant et très pieux. Il se persuada que la seule façon d’engrosser sa maîtresse tant aimée, une fille de ferme qui n’avait pas non plus toute sa tête, c’était d’avoir le talisman, le porte-bonheur infaillible.
Profitant de la confusion générale, il s’était mêlé à la foule des révolutionnaires et réussit à mutiler une bonne partie de la sacrée relique. Les détails trop scabreux pour être rapportés importent peu. Toujours est-il qu’il en habilla la femme de ses pensées. Il ne se produisit aucun résultat. Il eut beau pester, besogner et besogner encore, le ventre ne s’arrondit pas pour autant. De dépit, il finit par laisser tomber. Et il mit la relique sur un épouvantail, à la merci des corbeaux et des choucas. Un bien beau gâchis… Le reste du voile est bien sûr encore plus adoré et protégé pour le plus grand bonheur des pèlerins de tous bords.
Illustration : La chapelle Saint-Cœur de Marie, Cathédrale Notre-Dame de Chartres, Eure-et-Loir, Centre, France. Tango 7174 (28 septembre 2008).