La mendicité est une activité économique qui peut être fort rentable pour peu qu’elle ait été pensée, réfléchie, étudiée avec soin. Il ne suffit pas de tendre la main à la sortie de la cathédrale ou sa sébile en forme de coquille Saint-Jacques pour remplir sa besace.
La mendicité, pour qui s’y prend bien, n’exige que quelques heures de présence, à l’entrée et à la sortie des offices essentiellement. Il est fort utile, partant fort lucratif, de connaître aussi les heures de visites des transports, en particulier s’ils ont un fort pouvoir d’achat comme les Allemands ou les Japonais ou, s’ils ont des habitudes charitables, comme les Italiens et les Espagnols. En revanche, les Hollandais, pourtant nombreux, ou les Américains ne sont pas des cibles privilégiées, eux qui répugnent à donner quoi que ce soit, pas même un sourire ou un regard humain.
Ce business n’est pourtant pas si simple. Cela se bouscule quelque peu au portillon, les bonnes places étant limitées. Le Portail Royal est incontestablement du meilleur profit, le Sud préférable au Nord à cause de l’exposition et de la protection relative aux vents.
Le principe de base reste celui du premier arrivé, premier servi, étant donné qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Il y a les habitués, les anciens, qui connaissent le mieux le topo, chacun apportant un plus, une spécialité : la connaissance du site avec des détails croustillants digne des meilleurs guides, le chant entraînant des cantiques justement choisis…
Charity business
La tenue y fait aussi beaucoup. Il faut être propre mais pas impeccablement rasé. On doit susciter une certaine bonté condescendante, pas la pitié. Un ivrogne ou un débraillé ne fera pas un rond, pas plus qu’une mine de déterré ou de désespéré. Un brin de gaité est apprécié. On tient la porte comme le groom d’un cinq étoiles, on sourit, on dit « Bonjour, que le Christ, la Vierge ou la Paix soi(en)t avec vous », « Que le Seigneur soit avec vous ! » : ça fait toujours plaisir et la piécette sort plus facilement de sa tanière.
Certains sont occasionnels, tentant de se faire une place au soleil sur la route de Saint-Jacques de Compostelle, par exemple. En général, tout se passe bien, chacun comprenant tacitement qu’on a besoin de travailler. On se partage ainsi le marché de la générosité sans anicroche majeure.
Pourtant, à une époque récente, il n’en a pas toujours été ainsi. On se partageait littéralement le territoire et les nouveaux venus étaient priés d’aller se faire voir ailleurs. Il y eut même un règlement de comptes mortel et l’on ne chercha pas même vraiment à élucider le meurtre d’un sans domicile fixe, sans famille et même sans papiers, qui avait tenté de s’implanter de force. Mal lui en prit puisque, un soir, il fut agressé par trois ou quatre collègues qui le rouèrent de coups de pieds et de poings, histoire de lui donner une leçon.
Il ne s’en releva pas. La leçon avait porté ses fruits. Cependant, depuis cette tragédie, les auteurs convinrent qu’il fallait passer à d’autres méthodes d’intimidation, plus douces, histoire de ne pas finir derrière les barreaux du 8 rue des Lisses. La sagesse divine prend parfois de bien curieux chemins…
Illustration : Mendiants au Pont au Change, Charles Simond, La vie parisienne à travers le XIXe siècle, Editions Plon, Nourrit et Cie, Paris (1901), p. 495.
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