Impossible d’y échapper, impossible de l’éviter : le dallage de la cathédrale de Chartres est mystiquement lié à l’énigme de son labyrinthe. Tout le monde est d’accord sur au moins un point : il s’agit d’un parcours initiatique, d’un itinéraire à déchiffrer. En revanche, son interprétation a laissé la porte ouverte aux explications parfois les plus saugrenues ou les plus fantaisistes.
La version officielle de l’Église est marquée par la prudence la plus élémentaire et de bon aloi. Le vendredi, le pavage est découvert et des panneaux en plusieurs langues insistent sur le côté descente en soi-même, aventure intérieure, recherche de soi. Cela a un petit côté zen qui ne mange pas de pain béni.
Ce chemin figurerait aussi le chemin de Jérusalem. Les géomètres de tous poils s’en sont donnés à cœur joie : 12,87 mètres de diamètre pour un développement de 250 mètres environ, voilà de quoi exciter les imaginations. Cela donne des considérations du genre : « les diamètres du labyrinthe et de la rosace occidentale sont pratiquement les mêmes. Le diamètre du labyrinthe fut prévu pour correspondre au dixième de la longueur intérieure de la cathédrale. »
Les onze lignes parallèles ont fait l’objet de tous les fantasmes d’où des conclusions on ne peut plus discutables du genre : « Dans tous les cas, l’ouvrage était forcément destiné à un usage d’ordre spirituel et ésotérique de très haut niveau. Il faut, sans doute, aussi y trouver le symbole de la vie et de la mort indispensable à l’initiation d’une autre vie ! C’est probablement aussi un résumé du cosmos, de l’univers et du micro-cosmos dont le centre à atteindre est tenu par l’architecte régissant l’ensemble de tous les cheminements. Une sorte de parcours “au centre” qui est l’issue inéluctable. Mais n’y aurait-il pas une autre explication ? » Mais si, Coco, il y en a une autre et pas besoin de chercher midi à quatorze heures, de faire compliqué quand c’est si simple…
Les calculs algébriques ou géométriques ne sauraient en effet tout expliquer. On a aussi beaucoup pensé au Minotaure et à Thésée, à ce dédale que seul le fil d’Ariane a permis de vaincre. Mais la cathédrale de Chartres, ce n’est pas la Crète, et on ne se perd pas dans ce dédale, contrairement aux jeux de la fête foraine ou aux moderne labyrinthes végétaux. À Chartres, ce n’est pas un labyrinthe car il n’y a qu’un chemin possible et qu’on ne risque pas de se retrouver dans un cul-de-sac !
Labyrinthique
Justement, pour comprendre cette énigme du labyrinthe, il suffit d’un peu de logique. Ce labyrinthe n’en est donc pas vraiment un, car l’on ne doit pas s’y perdre. Il ne débouche ni sur une série d’impasses ni sur une impossible sortie. Au contraire, il s’agit d’un parcours balisé, imposé, avec une entrée et une sortie, une sorte de visite guidée, fléchée. Tout est là. On entre, on chemine et on sort, juste de manière non linéaire par un itinéraire imposé.
Réfléchissons encore un peu. Le labyrinthe est au cœur de la cathédrale Notre-Dame. En fait, pas vraiment le cœur mais plus exactement aux entrailles. Pensez à la prière à la Vierge : « et le fruit de vos entrailles est béni… » Bon Dieu, Eurêka, mais c’est bien sûr, le labyrinthe de Chartres, ce sont les intestins de la Vierge, son Ventre, là où tout se transforme jusqu’à l’Anus Dei (Que le Rectum de la cathédrale nous absolve pour ce mauvais jeu de mots !)
Ce labyrinthe est bel est bien la représentation des entrailles de Notre-Dame, une projection d’un autre lieu de circonvolutions, entre Ciel et Terre, le passage du corps à l’Esprit, des entrailles… au cerveau ! Le cerveau a cette même configuration en méandres que le colon. Et la rosace n’est autre que la projection extérieure qui permet de passer du sol au solaire, de l’interne à l’externe, de la Terre aux Cieux : Notre Dame qui êtes aux cieux…
La cathédrale doit être considérée comme une véritable prière en pierre à la Vierge. Elle lui est consacrée. C’en est une figure, pas seulement mystique mais tout d’abord charnelle, transfigurée ensuite. Le labyrinthe est la représentation de la chair de Marie où le chrétien est invité à entrer, en s’initiant à aller sur les chemins du spirituel. Cela commence dans le ventre de la Mère et le voyage fécond est un parcours vers la Lumière. Il y a eu un temps de gestation après la fécondation, avant la (re)naissance aux joies de l’esprit. Que les yeux s’ouvrent…
Ce labyrinthe n’est donc nullement un lieu où l’on se perd mais où l’on se (re)trouve. Il n’y a rien de vraiment mystérieux et, au contraire de ce que l’on dit généralement, l’explication est on ne peut plus terre à terre…
Illustration : Le labyrinthe de la cathédrale de Chartres, Gérald Béhuret (1999).
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