La première martyre chartraine n’est autre que la trop méconnue Sainte Modeste. Modestie oblige, sans doute, on ne sait rien d’elle ou presque jusqu’à présent. Elle a pourtant sa statue sur le Portail Nord, sur le côté de la baie de droite, à proximité de la statue mutilée de Saint Potentien, apôtre des Gaules.
Sainte Modeste fait un geste de bénédiction de la main droite et tient un manuscrit de la gauche. Sous ses pieds, le puits des saints Forts. Elle est vêtue d’une longue robe et d’une cape plissée ; elle ramène d’ailleurs son drapé avec la même main qui tient le saint Évangile. Elle apparaît comme le type de beauté virginale souriante, ses longs cheveux souples encadrant un visage apaisé. Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle en aura bavé.
Issue d’un milieu aisé, elle avait, dès son plus jeune âge, été élevée par une congrégation religieuse. Elle y avait appris à lire, écrire et compter, ce qui était à l’époque aussi rare pour une femme qu’aujourd’hui à un enfant de primaire. Elle menait une vie ascétique qui lui plaisait fort au demeurant, n’ayant que pour saines distractions que la musique et la tapisserie. Elle vivait exclusivement entourée de femmes mais, bien sûr, ne manquait pas de rendre ses devoirs filiaux. Elle se rendait aussi tous les jours à l’église pour prière.
Sainte Modeste
Sa vie était d’une grande monotonie, d’une grande médiocrité même qui lui seyait à merveille. Or, un jour, le cours des choses dérailla. Alors qu’elle se rendait à l’église, dument chaperonnée, elle fut aperçue par un cavalier romain, un officier aussi laid que cruel.
Aussitôt, il voulut la posséder. Avec l’aide de ses acolytes, elle lui échappa provisoirement. Le lendemain, il revint au même endroit et à la même heure avec une demi douzaine de soudards. Cette fois-ci, elle ne put résister. Les soldats exterminèrent les suivantes sans coup férir. Ils enlevèrent Modeste aux bras blancs. Ses parents payèrent la rançon demandée mais ne revirent jamais leur fille.
Celle-ci refusa les avances de son bourreau. Il la fit violer par tous les soldats. Cela ne la découragea pas et elle continua à se refuser à lui. Cela l’excita davantage. Elle eut les yeux crevés, les phalanges des doigts et le bout des seins coupés : rien n’y fit. Elle continuait à fait non de la tête, sans se débattre et sans crier. Elle fut déshabillée et traînée au milieu de la place. On admira le nacré de sa peau puis on lui brisa les os menu. Les chiens errants et les porcs s’en approchèrent mais la délaissèrent. Modeste continua à s’obstiner.
Le vilain officier, de rage et de dépit, l’éventra. Elle souffrit le martyre sans se plaindre, les mains liées, perdant son sang, se vidant de ses tripes, mais elle continuait à vivre. Elle refusa qu’on lui ceigne une couronne d’épines, estimant qu’elle n’en était pas digne. On cracha sur elle, on urina sur son corps pantelant et grotesque sans provoquer la moindre réaction. La belle jeune fille n’était plus qu’une charpie.
Quand elle rendit son dernier souffle, les cochons se chargèrent de faire disparaître son cadavre : impossible ainsi de conserver une sainte relique ni de célébrer la mémoire de cette innocente virginale. Par une sorte d’excès de modestie même, on n’entendit même plus parler d’elle et Chartres ne mit guère en avant sa si humble martyre. Comme quoi, trop de modestie nuit.
Illustration : Sainte Modeste, cathédrale de Chartres.
vous avez un bon point de vues.