Travelo, ce n’est déjà pas rigolo en soi. On est en butte à toutes les moqueries, à tous les lazzi, à toutes les haines refoulées. Mais travelo à Venise, c’est pire que tout. La ville des masques et du Carnaval, pour un travesti, c’est le lieu maudit, celui où tout est permis, où tout le monde se prend pour une drag queen, où la concurrence est finalement telle que tout le monde fait le trottoir.
Maximo s’était déguisé dès son plus jeune âge. D’abord en Benito Mussolini mais, très vite, il avait trouvé beaucoup plus confortable les jupettes de sa sœur aînée, les talons aiguilles de sa mère. Il se maquillait longuement sous l’œil amusé des deux autres femmes de la maisonnée du quartier de la gare, le terminal Santa Lucia. Le père avait préféré faire ses valises avec un voisin, un certain Andréa. Il était homo, comme ils disent, bi, bref dans la famille le choix de la sexualité était tout aussi ambigu et incertain qu’un pronostic du tiercé ou la séance de tarots de chez Madame Irma.
Après une adolescence solitaire, il s’était engagé chez les carabiniers, pour l’uniforme. Il faut dire que les policiers italiens bénéficient d’un uniforme de haute couture, très avantageux, et si l’habit faisait le moine, les couvents seraient pleins et les poules auraient des dents. Seuls les matadors espagnols bénéficient d’une tenue règlementaire encore plus spectaculaire, moulée et dorée à souhait. On ne comprend pas trop bien l’intérêt de cet habit de lumière avec chaussettes roses et chaussons de danse pour planter une épée dans une vache enragée de cinq cents kilos mais la tradition, ça ne se discute pas ! Pas plus que les goûts et les couleurs de ma belle-mère (paix à son âme !).
Porter l’uniforme le jour et la jupette la nuit est un exercice périlleux, surtout qu’une nuit ou l’autre, il faut bien vous attendre à vous faire alpaguer par vos collègues. Et c’est ce qui arriva, un soir de demi-lune. Il fut abordé par un collègue, son propre binôme, car comme les queues de cerise, les carabiniers vont par deux. Ça évite de les perdre et un esprit pour deux suffit.
Ledit binôme, Mauricio le moustachu, Mauricio le tatoué, le vrai de vrai, celui au Marcel intégré sur son corps bodybuildé, lui aussi menait une double vie. Vous parlez d’un quiproquo pour Maximo !
Sous sa perruque et ses lunettes Dolce et Gabbana de star, Maximo réussit à cacher son trouble à Mauricio, dont les qualités de physionomiste laissaient sans doute à désirer. Il faut dire qu’il venait du fin fond du Frioul, région qui n’est pas particulièrement réputée pour la production de petits futés ; on fait plutôt dans le rustique, le brutal, le à‑dégrossir-soi-même, qualités après-tout en général très suffisantes dans la plupart des polices. En Espagne, beaucoup de policiers franquistes venaient des Asturies. Quant à la France, le ministère de l’intérieur préfère tenir ses sources secrètes. Tout ce que l’on sait, c’est que la première région pourvoyeuse de policiers correspond également à celle qui compte le plus de consanguinités, de dégénérés et d’échecs au brevet des collèges. Ne nous hâtons pas de faire de liens entre ces données : rien ne presse…
Piccolo Travelo
Pour en revenir aux petites affaires de notre ami Maximo, elles étaient plutôt mal engagées et assez compromises. Cela risquait de tourner au vaudeville et à un remake de bazar de la cage aux folles dans la maison poulaga.
Maximo préféra repousser les avances de son collègue, qui ne comprenait manifestement pas pourquoi ce travelo refusait d’accomplir son devoir extra-conjugal. On en était là de cet imbroglio idiot quand la situation se dénoua par un coup de théâtre pas plus piqué des vers que des hannetons.
« Police des mœurs ! », crièrent en chœur une escouade entière d’une brigade mondaine et demi-mondaine, qui embarqua nos deux héros tout penauds parmi une bonne quinzaine de clients et prostituées, lors d’une descente inopinée dans un quartier très reculé de la ville et où, jusque-là, la police n’avait jamais mis les pieds…
Vous imaginez que les deux carabinieri ne sont pas prêts d’oublier le traitement que leur réserva leurs ex-collègues. Ils furent immédiatement invités en effet à démissionner et à prendre leurs cliques et leurs claques de dégénérés ailleurs, loin de Venise, la ville des masques et du carnaval, certes, mais pas pour des policiers travestis ! Et le prestige de l’uniforme alors ?
Pourquoi pas des brigades gays, des binômes bi ou des gendarmettes de la pelouse ? Non, ne fantasmez pas, sinon s’immiscerait le trouble, voire le désordre, dans des esprits programmés pour que tout soit clairement noir ou blanc, mâle ou femelle et, de préférence, mâle et blanc.
« Piccolo Travelo », quinzième épisode des Nouvelles Vénitiennes de Maître Renard.
— Lire la nouvelle précédente : Il n’y a pas que la vérité à sortir du puits.
— Lire la suite : Blondes.
Une réflexion sur « Les Nouvelles Vénitiennes (15) : Piccolo Travelo »